Interview de l’Agence du Numérique

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par

« L’intelligence artificielle va nous faire progresser de manière vertigineuse dans tous les domaines et notamment celui de la lutte contre le réchauffement. »

Interview André Blavier / l’Agence du Numérique from Média Animation asbl on Vimeo.

André Blavier est expert senior et Head of communication à l’Agence du Numérique, le service public chargé d’assurer une veille sur les innovations technologiques et les usages du numérique, de conseiller le Gouvernement wallon et ses services dans ce domaine.

Une question d’actualité pour commencer : comment concilier le télétravail, avec tout ce que cela suppose de vidéo-conférence et donc de volumes importants de données, avec cette exigence nouvelle de sobriété numérique ?

Je voudrais d’abord souligner ceci : on peut se demander ce qui aurait encore fonctionné sans le numérique pendant le confinement. J’ai la chance d’être professeur-invité à HEC-Liège : sans numérique, il n’y aurait plus eu de cours du tout, pas d’examen, pas de suivi, pas de mémoires. Et les entreprises qui ont maintenu leur activité l’ont fait grâce au numérique. Le numérique a été le garant d’une certaine résilience des activités humaines de tout type car au-delà de l’économique, on peut penser au contact entre familles, entre les gens. Quel outil fantastique pour continuer à fonctionner ! Mais effectivement il y a à présent des doutes sur le numérique. Jusqu’il y a 3 ou 4 ans, dans les conférences et événements, c’était un peu « le numérique est parfait. » Depuis quelque temps, on sent cette problématique de l’environnement. Il y a cette crainte d’accélérer le réchauffement climatique avec notre activité numérique.

En 2019, une recommandation de l’ADN portait sur la création d’un incitant fiscal pour limiter son empreinte carbone numérique : est-elle encore d’actualité alors même qu’une certaine résilience économique ou sociétale passe par un recours accru au numérique ?

Excellente question… Un des risques qu’il faut absolument éviter, c’est de perdre le cap du long terme. Effectivement, on connaît un temps d’urgence. On ne se pose pas de questions métaphysiques quand il s’agit de sauver des entreprises ou l’enseignement. Dans un deuxième temps, on va rapidement se rendre compte que les entreprises vont aller plus vers le numérique. Il n’y qu’à regarder comme l’économie chinoise repart, parce qu’elle est très digitalisée. Et puis il y a le long terme et plus que jamais il faut garder en tête ces recommandations. Une des manières de relancer l’économie sera de développer de nouveaux usages et de nouvelles technologies, de faire appel à l’innovation numérique pour se rendre compatible avec les exigences climatiques. Cela dit, il ne faut pas opposer l’environnement et le numérique, ils sont éminemment complémentaires. L’intelligence artificielle va nous faire progresser de manière vertigineuse dans tous les domaines et notamment celui de la lutte contre le réchauffement. Et puis prenons un exemple tout simple : nous sommes vous et moi en vidéo-conférence, et nous sommes en télétravail. Si je regarde le kilométrage de ma voiture depuis deux mois et demi (NDLR : interview réalisée le 14 mai 2020), j’ai fait un sacré paquet d’économie de carburant. Un autre exemple : en Suède, ils sont très avancés dans la notion de « smart cities ». Ils vont beaucoup plus loin que les parkings intelligents, les bornes interactives, etc. Leur programme de smart city récupère toute l’énergie des outils numériques pour l’automatisation de la ville et s’en sert pour chauffer la ville avec un objectif de compenser l’impact du numérique. Là, on est sur du long terme. Cela ne s’improvise pas.

Les concepteurs, les entrepreneurs, les start-upers, commencent à se rendre compte de cet impact mais qu’en est-il du consommateur ?

Je n’ai pas de données chiffrées mais je sens cette prise de conscience dans le grand public, je la sens à travers les questions que j’entends lors de conférences, lors de rencontres. Cependant il suffit de regarder quelles sociétés ont bien résisté à la débâcle boursière du mois de mars, pour constater que les actions d’Amazon, Netflix et quelques autres se portent bien. On consomme tous sur ces plateformes. On ne réfléchit pas encore assez aux conséquences de nos achats. C’est mon cas : j’ai un abonnement sur une plateforme de streaming musical. Mes playlists favorites ont été téléchargées une fois pour toutes par wifi, cela évite de les télécharger continuellement lorsque je suis en voiture. Dans le domaine de l’alimentaire, le public commence à se poser beaucoup de questions et des apps ont été créées pour connaître les « nutriscores » des aliments. Le consommateur attentif commence à avoir une grille d’analyse pour guider ses achats alimentaires. Et cela arrive doucement dans le numérique : Apple envoie des messages aux utilisateurs d’iPhone en leur donnant leur temps d’écran, par exemple. Je pense qu’on va aller vers des systèmes où le citoyen va avoir des retours sur sa consommation. Exemple : un message avertissant qu’on écoute tel morceau pour la 40ème fois, et que si on l’avait téléchargé, l’impact aurait été diminué dans telle proportion. Et puis il y a une éducation au numérique qui manque un peu aujourd’hui. Le numérique, c’est de l’auto-apprentissage : j’achète tel appareil, tel service et je le découvre par moi-même. En terme éducatif, il faudrait avoir une réflexion sur un usage raisonnable du numérique, en plus des implications en termes de vie privée, de données personnelles, etc.

Infos : https://www.adn.be/fr/agence-du-numerique/