« L’immaturité numérique des jeunes publics, on la pressentait mais sans la formuler »

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Paul de Theux (Média Animation) et Tony de Vuyst (PointCulture) sont les organisateurs de La Semaine Numérique.

Question – Paul de Theux de Média Animation et Tony de Vuyst de PointCulture, vous êtes les organisateurs de La Semaine Numérique. Le thème de cette année, l’e-maturité, parle à tous nos interlocuteurs et à tous les organisateurs d’événements. Paul, vous avez aussi cette impression que nous avons là touché une sorte de corde sensible?

Paul de Theux – Oui, je pense qu’on a mis en avant quelque chose que tout le monde pressentait un petit peu, mais sans pouvoir le formuler vraiment. Alors c’est vrai que, en parlant de e-maturité, on met en avant le fait que, notamment les jeunes générations, contrairement à ce qu’on croit, ne sont pas toutes à l’aise avec les outils numériques. Mais au contraire, il y a des problèmes de compétences sont observés, que des enquêtes ont observés et sur lesquels on voudrait mettre un coup de projecteur.

Il y a effectivement des problèmes de compétences. Il y a aussi des problèmes, tout simplement de comprendre l’environnement numérique et de ne pas le subir passivement et d’être plus qu’un consommateur passif. C’est cela, Tony ?

Tony de Vuyst – Oui, et c’est assez paradoxal d’ailleurs, puisque on a quand même l’impression qu’on est dans des générations qui sont nées quasiment avec une console et qui entre dans des jeux parfois très complexes au niveau d’applications complémentaires ou de manipulations. Et puis finalement, on se retrouve devant des jeunes qui ne savent pas remplir un fichier PDF en ligne par exemple, alors qu’on pourrait se dire que la bureautique de base est quand même peut être plus intéressante au départ, peut-être pour ces jeunes têtes qu’une console de jeu.

Il y avait ce qu’on appelle un stéréotype, un mythe du « digital native ». C’est ce que la Fondation Roi Baudouin, il y a quelques semaines, a expliqué que ce stéréotype ne se confirme pas dans les faits. Et ça, quelque part, cela nous a étonné dès le début de cette année, en préparant cette édition.

Paul de Theux – Oui, tout à fait. Et donc, évidemment, il ne faut pas se tromper dans l’analyse et dire que les jeunes sont coupés d’Internet. Ils pratiquent évidemment abondamment certaines choses, mais c’est de l’ordre du divertissement principalement, et c’est principalement avec les smartphones. Or les usages d’Internet, au-delà des loisirs, sont importants et on constate qu’il y a là une série de choses que les jeunes ne sont pas en capacité de faire. Je vous raconte une anecdote : je donne cours dans une Haute Ecole à des étudiants en communication et au premier cours il y a 500 étudiants. Au premier cours, j’explique l’histoire du web et à la fin, il y a un jeune qui lève le doigt qui me dit « c’est quoi monsieur un logiciel? » Et puis un deuxième lève son doigt « c’est quoi monsieur un moteur de recherche ? ». Des choses qui paraissent relativement évidentes à ceux qui ont découvert l’informatique, le numérique via l’ordinateur, mais qui ne le sont plus pour les jeunes qui sont essentiellement sur les smartphones. Et donc il y a tout un volet qui est important pour son intégration à la société et pas uniquement pour la dimension loisir qui doit absolument être pris en compte.

Vous avez été tous les deux signataires d’une carte blanche à lire dans Le Soir. On n’a pas toujours l’impression que les pouvoirs publics prennent la pleine mesure de ce retard chez les jeunes. Et ils s’orientent plutôt vers des mesures ou des politiques de remédiation vers des publics plus âgés, alors que l’administration prend de plus en plus de place. L’administration en ligne, l’e-santé, l’e-banking, etc sont des services essentiels. Et là, on se rend compte que les plus jeunes générations ne sont pas tout à fait outillés.

Tony de Vuyst – Oui, oui, exactement. Ce que ce que on voulait essayer de faire apparaître aussi dans la carte blanche, c’est aussi cet aspect, je dirais finalement ludique et surtout d’image. Les réseaux sociaux, TikTok, etc : la majorité des ados y passent des heures mais à partir du moment où on a un fichier à remplir ou simplement à compléter, ils sont tout à fait déphasés. Donc il y a certainement au niveau des pouvoirs publics une réflexion à se faire par rapport à ça. On est allés dans le sens de la simplification numérique aussi au niveau du citoyen. Mais dans ce cadre-là aussi, il faut peut-être remettre en selle aussi bien les jeunes publics et essayer de voir un peu comment on peut les aider par rapport à ça. Au niveau des Espace Publics Numériques, ils font beaucoup de travail par rapport à ça. On a parlé des seniors mais on se rend compte aussi que petit à petit, les seniors amènent parfois leur petit-fils ou leur petite-fille pour venir pour venir se faire un peu aider aussi.

Il y a 139 activités cette année, y en a-t-il certaines que vous avez repérées en particulier ?

Paul de Theux – Dans les activités, il y en a qui touchent de près notre thème comme, par exemple, « comment vivre sa vie numérique de façon responsable et citoyenne », c’est un atelier organisé à Ixelles. Il y en a un autre sur l’e-maturité justement à Verviers évidemment. J’en ai repéré plusieurs sur les fake news qui s’inscrivent aussi dans la maturité numérique du citoyen. D’ailleurs, sur la question des fake news, on a mené une enquête à Média Animation en partenariat avec le Conseil Supérieur de l’éducation média. Les jeunes se disent sensibles aux fake news et ils n’ont pas du tout envie de passer pour des idiots qui ont relayé une mauvaise info. Donc ils sont attentifs à ça, ils ne veulent pas se laisser berner. Mais par contre, quand on leur demande comment ils identifient les news, là ils sont plus en difficulté, il manque de repères, ils manquent d’outils et donc il y a là une initiation nécessaire pour qu’ils puissent faire le tri de façon efficace.

Tony de Vuyst – J’ai repéré tout un cycle intéressant à l’Espace Public Numérique d’Estampuis sous la notion d’e-maturité numérique. Cela va de la sécurisation de son mail à ses réseaux sociaux et c’est intéressant parce qu’en fait cela va au-delà de la procédure sur « comment » mais on y sensibilise aussi à l’importance d’un environnement numérique sûr.

La Semaine Numérique joue son rôle de lanceur d’alerte, parfois sur des dérives ou des points plus obscurs du web. Mais on est bien d’accord qu’on n’est pas là pour pointer en particulier une jeune génération qui serait sur le numérique. On est tous un petit peu immature à notre façon et d’ailleurs il y a beaucoup d’autres activités, ateliers, conférences sur l’inclusion numérique en général, il y a 139 activités.

Paul de Theux – Oui d’ailleurs vous verrez sur le site de La Semaine Numérique le visuel qui montre justement que les difficultés avec Internet, ce n’est pas une spécialité des jeunes ou une spécialité des personnes âgées ou une spécialité de certaines couches de la population, même si des publics défavorisés sont ceux qui sont évidemment plus en difficulté. C’est une problématique générale et donc on s’adresse, je dirais, à tous les publics. Et puis il y a une collaboration qui peut se faire entre les compétences des uns et des autres. Et évidemment, les ateliers qui sont proposés sont faits pour aider chacune et chacun à progresser dans ses usages et ses compétences.

Tony de Vuyst – Exactement. C’est peut-être la piste aussi pour combler le fossé entre les générations. C’est une façon aussi finalement de pouvoir s’aider mutuellement. Les apports des compétences des autres, d’autres. Et c’était pour ça aussi que le petit film qui lance la semaine numérique était à peu allusion aux jeux vidéo, mais en même temps aussi aux supports que les anciens, si on peut les appeler comme ça, peuvent apporter aux autres.