Pascal Minotte : « On ne peut pas réduire l’usage excessif du digital à une notion de temps »

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Pascal Minotte est co-directeur du CRESAM (Centre de référence en Santé Mentale) : pour lui, la notion de durée n’est pas le bon critère pour juger d’un usage excessif du digital, notamment des jeux vidéo.

Peut-on objectiver le risque d’un effet négatif d’une hyperconnexion digitale sur la santé mentale ?

C’est vrai qu’il y a un contexte de panique morale autour des usages du numérique depuis quelques années, ce n’est pas récent. Cette panique morale autour des innovations, des usages des technologies par les jeunes, n’est pas nouvelle. On présuppose un risque, de fait. Mais ce n’est pas pour autant il n’y a pas de questions intéressantes à se poser ? Quel est l’impact des réseaux sociaux sur le moral des adolescents, quel est celui du cyber-harcèlement ? Il y a de bonnes raisons de questionner le lien entre la santé mentale et le numérique, et il y a beaucoup d’études qui ont du recul par rapport à ces usages ?

Vous évoquez les jeunes : c’est surtout chez eux que le risque est plus présent ?

Non, des adultes peuvent être dans un inconfort certain du fait que la vie professionnelle et la vie privée sont plus poreuses à cause des nouveaux dispositifs numériques. Mais il faut constater que la catégorie de population qui nous inquiète le plus est celle des jeunes, tout simplement parce que ce sont des jeunes qui nous sont principalement adressés et que les budgets de recherche sont alloués à cette catégorie.

Des études citées par la presse évoquent un nombre impressionnant de jeunes usagers d’Instagram, plus de 80%, qui admettent ressentir de l’anxiété dans leur usage ? C’est corroboré par les études scientifiques ?

L’impact d’Instagram et de TikTok sur l’estime de soi a été analysé et confirmé par des études. Cet impact est évalué en moyenne de manière négative mais je voudrais relativiser par rapport au discours des médias. Les médias eux-mêmes relaient des stéréotypes en matière de beauté, les médias sont ambassadeurs de l’idéal de minceur, ce n’est pas nouveau. Les médias sociaux font aussi la promotion d’une image plus inclusive du corps, c’est sur les médias sociaux qu’on trouve des # où des femmes assument leurs rondeurs et aident d’autres jeunes femmes à s’accepter elles-mêmes. C’est plus complexe que simplement affirmer que les médias sociaux abaissent l’estime de soi des jeunes.

En tant que praticien, quels sont les signaux qui vous alertent sur un mal-être lié au numérique ?

Dans ma pratique, dans les situations que j’ai principalement rencontrées, ce sont des usages excessifs, presque exclusivement du jeu vidéo. Et là, la souffrance est le marqueur : quand les joueurs souffrent, c’est un signal alarmant.

J’ai lu qu’au-delà de trois heures par jour, on peut parler d’usage excessif ?

C’est une certaine naïveté des médias qui relatent ce genre d’informations. Il n’y a aucun diagnostic d’usage excessif basé sur un temps d’usage. Les 3 heures que vous évoquez, c’est un temps largement dépassé par la plupart des adultes probablement et des ados certainement. Ce qu’il faut questionner, c’est la souffrance : l’usage est-il motivé par le désir d’échapper à un état dépressif ou anxieux ? Est-ce que l’usage entraîne des problèmes fonctionnels dans les autres dimensions de la vie : les études, le travail, les relations sociales. Mais on ne va certainement pas interroger la notion de temps. Cela étant dit, un usage excessif devient vite envahissant en termes de temps. En consultation, je reçois des personnes qui ont des usages de 13, 14 ou 15 heures par jour.

Conférence/débat : la santé mentale et le numérique