Que fait l’école pour les soi-disant «digital natives»?

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Carte blanche parue le 25 août 2022 dans Le Soir.

En tant qu’acteurs de l’éducation aux médias, nous pouvons affirmer que l’existence d’une jeune génération « digital native », c’est-à-dire née avec le numérique et supposée (mieux) maîtriser ses outils, ses usages et ses codes, est un mythe.

Bien sûr nous aussi, les adultes, avons attendu l’émergence de cette génération rompue aux « écrans » et qui promettait de résorber la fracture numérique. Mais force est de constater qu’elle n’est pas advenue.

Une sortie difficile de l’usage récréatif

Au contraire, nous observons qu’un décalage s’agrandit : celui entre l’immersion récréative des jeunes dans le numérique, qui « baignent » dans les jeux, les réseaux sociaux, les messageries, les smartphones, les plateformes de vidéo et de musique, et la faible compréhension voire le désintérêt que les plus jeunes générations éprouvent pour les mécanismes et algorithmes les confrontant à tel ou tel type de contenus plutôt que d’autres.

Nous constatons également qu’une fois sortis des usages récréatifs du numérique, les jeunes de 16 à 20 ans, pas plus que leurs aînés (voire moins qu’eux), n’ont acquis une agilité spécifique dans l’e-citoyenneté. Les formulaires en ligne et les démarches administratives virtuelles leur sont en général tout aussi difficiles à maîtriser que pour la génération « guichet et papier ».

Des enseignants du supérieur nous rapportent régulièrement que certains étudiants sont à peine capables d’effectuer des tâches relativement simples, comme transférer des images du smartphone à leur ordinateur ou compléter un formulaire PDF sans l’imprimer.

Une avancée heureuse, mais…

Cette impression subjective est confirmée par des données : en 2019, Eurostat plaçait la Belgique dans les pays ayant la plus grande part « d’illectronisme » chez les 16-29 ans, dont 20% disposent de très faibles compétences. Un jeune Belge sur cinq !

En Wallonie, lors d’une enquête en 2021, un étudiant sur deux affirmait être en demande de plus de formation au numérique.

Ce phénomène, qui n’est pas spécifique à la Belgique, a été bien perçu par les pouvoirs publics. Les premiers états des lieux sérieux sur la question remontent à une dizaine d’années et le soutien des pouvoirs publics aux initiatives de remédiation et de sensibilisation s’accroit d’année en année.

Récemment, en Fédération Wallonie Bruxelles, le Pacte d’Excellence a également consacré la prise en considération du numérique dans les référentiels d’apprentissage de primaire et secondaire : une avancée heureuse, même si certains observateurs se sont étonnés de les retrouver dans le paquet « Formation manuelle, technique, technologique et numérique ».

8 années à venir dans l’incertitude

L’urgence a-t-elle pour autant été entendue ? Il est permis d’en douter.

Le plan stratégique numérique pour l’éducation indique en effet une « montée en puissance » des apprentissages liés à « la société du numérique » à partir de… 2028. Pour une « vitesse de croisière » estimée, elle, à l’horizon 2030. Dans huit ans, donc.

Intégrer pleinement de nouveaux apprentissages de savoirs, de savoir-faire et de compétences numériques dans un cursus scolaire demande un travail colossal, nous en sommes persuadés, mais il convient de le prendre en main aujourd’hui avec des moyens conséquents : que fera l’école ces 8 prochaines années pour éduquer les jeunes au numérique et jouer pleinement son rôle d’émancipation et d’apprentissage ?

En tant qu’acteurs de l’éducation, nous sommes optimistes de nature. Cela ne nous empêche pas aujourd’hui d’entretenir un doute, pour ne pas dire un réel scepticisme, sur une évolution positive rapide de la maturité numérique de nos plus jeunes concitoyens.

Il est temps que les pouvoirs publics prennent pleinement conscience des enjeux liés au développement de la citoyenneté de nos jeunes générations, intégrant la maîtrise des outils numériques, plutôt que d’en faire deux piliers hermétiques.

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Lien direct vers la Carte blanche sur lesoir.be
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Signataires :

Paul de Theux, directeur de Média Animation et Tony de Vuyst, directeur général de PointCulture, co-organisateurs de La Semaine Numérique (du 10 au 21 octobre 2022) sur le thème « e-maturité numérique : une question d’âge, vraiment ? »

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